L'évangélisation,essence de l'Eglise

Publié le par Mgr Le Vert

L’EVANGELISATION, ESSENCE DE L’EGLISE

 

Intervention de Mgr Jean-Marie Le Vert, évêque auxiliaire de Meaux,

pour la récollection d’Eglise en Actes - Melun - 13 mai 2007

 

Les communautés chrétiennes, d’après toute la Tradition de l’Eglise, expriment leur foi à travers trois points qui ne peuvent exister les uns sans les autres : la prière, la charité et la mission. Et c’est plus spécialement insister sur ce dernier point que porte notre rencontre. En effet, je suis de plus en plus convaincu que notre premier rôle en ce temps de notre histoire est de proposer l’Evangile de la vie et du salut de Dieu. Le Père nous a envoyés son Fils pour cela, et c’est notre mission prioritaire que de témoigner de cette volonté d’amour de Dieu pour l’humanité. Mais un tel objectif nous semble bien difficile. Et après tout, qu’est-ce que c’est, évangéliser ? Pour répondre à cette question, nous partirons des Actes des Apôtres et de textes du Magistère. Mais auparavant, sans doute est-il bon de rappeler pourquoi il faut évangéliser.

 

1- POURQUOI EVANGELISER ?

La réponse à cette question est basée sur la foi. Nous croyons, parce que Dieu nous l’a révélé, que le Christ est le seul Sauveur de l’homme, et qu’il veut amener tous les êtres humains à la rencontre avec son Père, qui est le bonheur plénier de l’homme. Ce cadeau de Dieu, que nous avons reçu par grâce, nous ne pouvons pas le garer pour nous-mêmes. Et le Christ, avant son retour vers le Père, nous en a même fait un commandement : « Allez, de toutes les nations faites des disciples »[1]. Pour nous chrétiens, il est donc grave que certains ne croient pas au Christ, puisque c’est le bonheur qui en dépend. Et peut-être que, trop habitués par une fausse notion de tolérance, nous pouvons penser qu’il suffit que ceux qui nous entourent soient gentils et qu’ils fassent le bien autant qu’ils le peuvent, et qu’alors il n’est pas si nécessaire que cela d’être disciple de Jésus. Mais si cela était vrai, la mort et la résurrection du Christ n’auraient plus aucun sens : il ne serait venu que pour certains d’entre nous, et non pour tous ! Oui, il est grave que des hommes et des femmes ne connaissent pas le Christ, qui est le Chemin, la Vérité et la Vie[2]. Il est grave de ne pas avoir la possibilité de croire que Jésus est le bonheur de tout homme. Et être disciple de Jésus, ce n’est pas simplement faire le bien et suivre des valeurs même évangéliques. C’est suivre, adhérer à la personne même du Christ, c’est l’aimer en croyant qu’il est le Fils de Dieu, vrai Dieu et vrai Homme, Sauveur du monde, et nous laisser mener par lui vers son Père dans l’Esprit.

Cela veut donc dire que pour nous, toutes les religions ne se valent pas, que nous croyons que la foi catholique est celle qui mène le mieux vers le Seigneur, ce qui est logique, puisque nous continuons à la suivre. Si nous ne croyons pas que c’est ce qu’il y a de meilleur pour l’homme, pourquoi y rester ? Et c’est tout cela que nous voulons annoncer et proposer dans l’Evangélisation. Le proposer et non l’imposer, ce qui fait toute la différence avec le prosélytisme. Tout être humain est libre de suivre Jésus ou non. Mais si personne ne lui dit rien sur Jésus, comment peut-il être libre de choisir, puisqu’il ne le connaîtra pas ? Comment être libre si on n’a pas le choix ? Et comment avoir le choix si on ne connaît pas ? Evangéliser, c’est aussi rendre l’autre plus libre. Le Christ nous a dit que la Vérité nous rendra libres[3]. Et il est la Vérité. Le premier don, le plus grand don que nous pouvons faire à ceux que nous rencontrons, c'est de leur annoncer, de leur faire connaître Jésus. Etre chrétien, c’est ne pas garder le cadeau de Dieu pour soi tout seul. Il faut en être convaincu, pour pouvoir ensuite comprendre ce qu’est l’Evangélisation, ce que nous allons maintenant aborder.

 

2- LES ACTES DES APOTRES

Dans les Actes des Apôtres, donc dans l’histoire de l’Eglise naissance et de la première évangélisation, on découvre deux choses fondamentales : tout d’abord que le plus grand risque de l’Eglise est l’extinction de l’esprit missionnaire ; les premiers chrétiens en avaient très conscience ; ensuite que l’évangélisation dans les Actes n’est pas théorique, mais profondément concrète.

Ainsi, par exemple, les Actes nous montrent que celui qui évangélise est toujours envoyé et qu’un chrétien n’est jamais isolé, qu’il fait partie d’une communauté. Puis les Actes nous donnent les caractéristiques de cette communauté : le partage, la joie, l’accueil, la simplicité de cœur, une seule âme et un seul cœur, pas de division ni de peur.

Et de plus, on s’aperçoit que les chrétiens des premiers temps vivaient d’une manière qui sortait de l’ordinaire, au point que cette façon de vivre posait question. Ce qui veut dire que l’on n’est pas d’abord chrétien puis témoin ou évangélisateur, mais que l’on est les deux en même temps.

Tout cela pour dire que ce que nous découvrons dans les Actes, c’est que la première communauté ne se constitue que dans le but d’annoncer le Christ. Voyons maintenant ce qu’en dit les textes de l’Eglise.

 

2- LES TEXTES DU MAGISTERE DE L’EGLISE

Quand on relit aussi les textes du Concile Vatican II, ou plus récemment les exhortations apostoliques ou encyclique de Paul VI, « L’évangélisation du monde moderne », et de Jean-Paul II « Christi fideles laïci » et « Redemptoris Missio », on y découvre une affirmation capitale : « Evangéliser, c’est la grâce et la vocation propre de l’Eglise, son identité la plus profonde : elle existe pour évangéliser »[4]. L’Eglise n’est donc pas là d’abord pour le confort de ces membres, mais pour l’annonce de l’Evangile. La communauté chrétienne n’est donc pas un groupe simplement tourné sur lui-même ; au contraire, elle doit être tournée vers l’extérieur. Ainsi, on peut dire qu’une part de notre vie chrétienne n’est pas mise en œuvre que si nous accomplissons cette mission d’évangélisation ; à contrario, il faut admettre que si nos communautés n’accomplissent pas cette mission, elles ne vivent pas complètement l’évangile, et qu’une église qui n’évangélise pas est une église qui va mourir.

 

3- LA PRIORITE DE L’EVANGELISATION

Aujourd’hui comme hier, la même question donc nous est posée : comment réalisons-nous ce qui est dit dans les Actes, concrètement, alors que nous vivons en Europe au XXI° s. à peu près la même situation que l’Eglise primitive (raréfaction de la foi, perte du sens du spirituel... sauf que le chemin est déjà tracé) ? Comment nos paroisses, nos aumôneries, nos communautés ecclésiales correspondent-elles aux caractéristiques décrites dans les Actes ? Notre façon de vivre pose-t-elle question aux autres, et comment la revivifier ? Pour répondre à cette question, on pourrait se contenter des bonnes formules rassurantes de l’évangile sur le ministère pastoral et sur l’évangélisation :

« l’un sème l’autre récolte » : mais peut-on dire qu’avant nous, personne n’a semé ?

« les serviteurs inutiles » : mais on n’oublie le début de la phrase : « quand vous aurez fait tout ce que vous devez faire » ;

« le petit troupeau » : mais le mot « petit » se réfère-t-il nécessairement et toujours au nombre ?

Il nous faut donc retrouver cette intuition fondamentale de notre foi et l’enseigner à ceux dont nous sommes chargés : l’exigence commune d’être évangélisateur, de façon à ne pas attendre que ceux qui sont loin du Christ vienne jusqu'à nous, ni même prétendre que le prêtre ou quelques laïcs aillent les voir, mais bien réaliser l’évangile : « Chemin faisant, annoncez que le Royaume de Dieu est proche ». Chemin faisant, c’est-à-dire en faisant les choses que l’on fait quotidiennement, là où nous sommes, sans nous inventer des missions ou des situations extraordinaires. Ce qui veut dire que l’évangélisation est une évangélisation de proximité, par cercles concentriques. Je ne pars pas dans le but d’évangéliser, mais j’évangélise dans ma vie quotidienne, en saisissant toutes les occasions. L’Esprit Saint fait le reste. Aujourd’hui, il est terrible de constater que quand quelqu’un a une Bible avec lui ou parle de Jésus, on le prend systématiquement pour un témoin de Jéhovah !

Notre société n’est plus chrétienne depuis longtemps. C’est pour cela que Jean-Paul II, en mars 1983 (cela fait déjà 24 ans !), a lancé la nouvelle évangélisation, en soulignant qu’elle devait être « nouvelle dans sa ferveur, nouvelle dans ses méthodes, nouvelle dans son expression ». Elle est nouvelle aussi parce que l’homme a changé…

 

4- LES POINTS COMMUNS A TOUTE « METHODE » D’EVANGELISATION

Quand on regarde toutes les formes d’évangélisation depuis le début de l’Eglise, on retrouve plusieurs

constantes :

1- l’évangélisation vue non pas comme un programme pastoral ou une méthode, mais comme un style de vie : comprendre que l’évangélisation n’est pas une option dans la vie chrétienne, mais un commandement du Christ et quelque chose qui nous fait vivre dans notre baptême ;

2- la valorisation des relations humaines normales, qui existent déjà (proximité), en étant particulièrement attentif dans les temps modernes, à ceux qui ont reçu le baptême mais qui n’en vivent pas vraiment ;

3- l’accompagnement, à plusieurs niveaux, de ceux qui veulent cheminer vers le Christ (accompagnement lointain et personnel, puis par un groupe, puis plus proche…) ;

4- la formation permanente des fidèles, en particulier des responsables.

Sans doute pouvons-nous vérifier nos actions pastorales à la lumière de ces quatre critères.

 

5- L’EVANGELISATION DANS LES RELATIONS DE PROXIMITE NORMALES : LES 7 ETAPES

Nos relations proches peuvent se diviser aujourd’hui en quatre grandes catégories de personnes : les parents, les voisins, les collègues de travail, ceux qui partagent les mêmes centres d'intérêt. Les lieux fréquentés habituellement sont en effet les plus favorables pour annoncer le Royaume des Cieux, parce qu'ils sont le cadre des relations stables et approfondies. Il n'y a pas lieu de provoquer des occasions, il suffit de saisir celles qui se présentent. On ne s’invente pas de relations nouvelles ; on évangélise celles que l’on a déjà. Et c’est ainsi que l’on découvre, en reprenant par exemple les Actes des Apôtres, que tout processus d'évangélisation se déroule en sept phases, où la prière est permanente :

 

1.       La prière : dans le premier temps de toute évangélisation, il y a toujours la prière pour ceux qui sont proches. Il y a un regard nouveau porté sur eux, ne serait-ce déjà en s’apercevant qu’elles sont là, régulièrement, dans la vie de l’évangélisateur. Il y a aussi le choix de personnes plus particulières, discernée comme plus aptes sur le moment à recevoir l’Evangile (cela a été vrai, par exemple, pour l’appel des premiers apôtres, où c’est André qui amène son frère Pierre à Jésus, Philippe qui va chercher Nathanaël…). C'est à ces personnes que le message évangélique sera proposé ultérieurement. Auparavant, elles vont parcourir tout un cheminement vers l’amour du Christ.

2.       Le service : c'est le grand secret que nous avons appris de Jésus lui-même : « Le fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir »[5]. Celui qui se sent l'objet d'une attention, d'un amour désintéressé et sans mesure, se demandera : « Quelle est la raison qui pousse cette personne à agir ainsi envers moi » ?

3.       Le partage : le frère dont la confiance a été gagnée par l’amour peut s'ouvrir à l'Evangile grâce au pont d'amitié qui a été construit par le service. A ce moment, il est possible de partager avec lui un témoignage de vie chrétienne, lui dire quelle a été l’expérience chrétienne d’être des hommes sauvés, et la place que Jésus occupe dans la vie de l’évangélisateur. Celui-ci témoigne en fait « du peu de Jésus qu’il a rencontré ». C’est par exemple la rencontre de l’infirme avec Pierre[6], ou avec Corneille[7].

4.       L’explication : le fait de partager notre expérience sur Jésus entraînera forcément des questions et des réactions, parfois négatives, auxquelles nous devrons répondre. Dans cette phase avancée de l'approche, on s’aperçoit qu’il faut avoir une grande sensibilité, de la patience, et de la charité, pour aider l’évangélisé à dépasser les préjugés, les hésitations et les peurs sur la Dieu, la foi, l’Eglise, les prêtres, les chrétiens... On en a un exemple remarquable dans le dialogue de Jésus avec la Samaritaine, ou de celui de Philippe avec l’Ethiopien[8].

5.       L’envoi : le moment suivant est une annonce plus explicite : «Ce même Jésus, qui d'abord m'a aimé et m’a sauvé, t’aime également et est en train de te sauver». C’est l’invitation à confier sa propre vie au Christ et à s'engager envers Lui. C'est la phase la plus délicate du processus d'évangélisation, où il est proposé à ce frère d’entrer dans une autre forme de pensée, et à commencer de rejoindre et de rencontrer d’autres croyants (ex : le discours de la Pentecôte[9]).

6.       L’entrée dans un premier groupe de croyants : à un moment, il faudra faire rencontrer à cette personne d’autres croyants, pour qu’il se rende compte que nous ne sommes pas seuls de notre espèce, mais que d’autres comme nous, vivent de cette foi en Jésus. Ces autres croyants d’ailleurs pourront parfois lui apporter d’autres choses sur la foi, puisque nous sommes complémentaires et qu’aucun de nous ne peut présenter la plénitude du mystère évangélique. Mais pour que cette étape existe, encore faut-il que nous ayons nous-mêmes partagé notre effort d’évangélisation avec d’autres amis chrétiens, que nous leur ayons demandé de porter celui que nous accompagnons dans la prière, que nous ayons parlé de lui, afin qu’il ne soit pas un étranger pour eux. C’est là, encore une fois, où la communion fraternelle, la confiance mutuelle sont tellement importantes dans une communauté ecclésiale. Et quand celui a qui nous avons parlé du Christ entre en contact avec un tel groupe de croyants, il doit s'apercevoir qu'il est attendu et désiré, qu’il est déjà un frère, car depuis longtemps, l’Eglise à travers ce petit groupe prie pour lui et a soutenu celui qui l’évangélisait. Se pencher sur le dernier est la méthode de Jésus. Et pendant ces rencontres, l’évangélisé peut alors sentir le besoin d'approfondir son propre engagement, de connaître la communauté, ainsi que son pasteur. Mais pour cela, encore faut-il que ce soit une réalité dans nos communautés ecclésiales, et donc que tous soient convaincus de cette nécessité de l’évangélisation. Cela rejoint l’affirmation que c’est en Eglise que nous évangélisons, et non pas seul, et que les responsables de communautés ont à former les fidèles sur ce point.

7.       L’entrée dans la communauté confessante : ce petit groupe de croyants fait partie d’une communauté plus large, confessante, dans laquelle chaque nouveau disciple trouve naturellement sa place. Ayant pris conscience des dons que le Seigneur lui a accordés, l’évangélisé veut, à son tour, servir. A ce moment-là, il est invité à passer du rôle d'évangélisé à celui d'évangélisateur.

(voir suite de l'article plus loin) 

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